samedi 31 mai 2008

SUR LE QUAI DE PAPEETE




( CECI EST UN "PETIT" VOILIER ...)





C’est à partir de cette taille, sans doute, qu’un voilier, de nos jours, ne s’appelle plus un voilier, mais un “yacht”.

“Freedom Georgetown”

Vingt deux mètres de long, peut-être plus. Gréé en ketch. Mâts en acier. Enrouleurs automatiques pour les voiles.

Coque blanche, pont de teck verni. La proue est tournée vers le quai. Amarres de nylon bleu. Banquettes aux coussins profonds. Porte de cabine à persiennes. Rambardes à balustres. Un homme à cheveux gris. Une femme beaucoup plus jeune. Boissons glacées . Verres givrés.

Deux limousines en bas de la coupée, identiques, blanches, longues, longues ...

Cadillac, modèle Lincoln.

Trois ou quatre jeunes hommes s’affairent, se croisent, montent à bord, en redescendent.




De la première voiture ils sortent des sacs de linge venant du pressing. Dans l’autre, ils enfournent des housses à vêtements. Cuirs et monogrammes.


... Inestimable liberté !

jeudi 29 mai 2008

LES DÉBARQUEMENTS DANS LES TUAMOTU








Vous avez navigué à bord d’une goëlette qui a encore belle allure : la Tamara. Elle ressemble aux bateaux dont nous avons tous rêvé un jour ou l’autre. Deux mâts, coque en bois, cockpit verni, bateau qui navigue souvent au moteur, mais qui peut hisser des voiles et alors, là, on se croirait au temps des découvreurs !
Mais la Tamara roule et tangue terriblement, d’autant qu’un voilier qui navigue au moteur, il n’y rien de plus rouleur ! Vous n’avez guère quitté votre couchette pendant les quelques journées et les quelques nuits de navigation. Le médecin des Tuamotu, qui occupe la couchette voisine a une grande habitude : Il a suspendu au-dessus de sa couchette un régime de bananes et il cueille un fruit quand il a faim. Pour rien au monde il ne se mettrait debout. Vous avez essayé, lorsqu’on est venu vous proposer le traditionnel repas de riz et de corned beef -Vous vous êtes bien vite recouché, le coeur au bord des lèvres ... Mais comme vous n’aviez pas suspendu un régime de bananes, vous, vous avez accompli toute la traversée sans manger ... Mais qui parle de manger ?






Rien que d’y penser, la nausée m’emplit. C’est incroyable. Comment un bateau peut-il rouler ainsi ?

Moi, je me cale contre la cloison pour ne pas être précipité hors de ma couchette, et je ne bouge plus. Les yeux fermés, je vois des étoiles, des lunes et des soleils. Les yeux ouverts, je tombe dans des abîmes, je tombe, je tombe, tombe ...

Nous arrivons je ne sais plus où, peut-être à Fakarava. Une chaloupe nous embarque. Par chance, c’est un atoll qui est pourvu d’une passe, ils ne le sont pas tous. Nous avons embouqué la passe. Notre embarcation était équipée d’un puissant moteur hors-bord. Le barreur l’a emballé lorsque s’est présentée la plus grosse vague et les tourbillons nous ont saisis, précipités entre les récifs. J’étais coincé entre des sacs de pommes de terre, des caisses de bière, des cartons de vivres ... Que sais-je ? Il y avait même une moto, commandée par un insulaire. Chaque bateau qui passe apporte le ravitaillement. Nous avions aussi des sacs de farine et des sacs de ciment ! J’ai cru mille fois ma dernière heure arrivée. Le barreur a eu le temps, au passage, de me montrer au fond de l’eau, par une trentaine de mètres de fond, un tracteur rutilant qui, au jour de sa livraison, était, il y avait quelques mois, tombé d’une chaloupe.



Apparition poignante ! J’ai vu des voitures débarquer à cheval sur deux chaloupes navigant de conserve : Bel exploit qui réussit “presque” toujours !

Mais je me souviens d’un débarquement dans une île qui n’avait pas de passe.

J’étais prévenu : Mon prédecesseur dans les fonctons que j’accomplissais avait eu les deux jambes brisées, dont une d’une quadruple fracture. Il avait été roulé sur le récif lorsque l’embarcation qui le transportait avait été roulée sur le récif par une vague prenant de travers !

Était-ce à Pukarua, à Apataki, ou bien encore dans quelqu’une des Îles de la Désillusion, dont le nom est tout un programme ? Il ne m’en souvient pas.

La goëlette reste au large, puisqu’elle ne peut pas entrer dans le lagon. Elle fera des ronds dans l’eau pendant que les chaloupes feront le va et vient pour décharger, puis charger. La mer est belle, heureusement. Il n’empêche, il y a du creux, tant et si bien que charger une chaloupe est un sport difficile et dangereux : Lorsque la chaloupe monte avec la vague, la goëlette descend au plus profond du creux.





J’attends que le chargement soit terminé, toujours aussi hétéroclite, puis je saute. le barreur m’attrape, je crois qu’il m’a évité de tomber à l’eau, mais les chocs m’auront laissé des bleus. Le moteur vrombit furieusement : Il était temps que l’on s’écarte de la goëlette : Cela nous a évité de nous briser contre sa coque. La chaloupe bondit.


Alors là, vraiment, l’angoisse vous saisit et ne vous lâche plus : Le moteur est mis au ralenti : Le barreur attend ... Il attend quoi ? ... En fait, il compte : une, deux trois ... Il compte les vagues ... Il compte jusqu’à six. Je ne sais pourquoi, mais la septième vague est toujours la plus forte, celle qui prend l’embarcation, qui la soulève, la porte au récif.

Mais le récif ... Vous le voyez devant vous, il forme une falaise abrupte, noirâtre, agressive, montant comme un mur, droit devant la proue, jusqu’à deux mètres de haut. On fonce dessus, de toute la vitesse donnée par le moteur et par la puissance de la vague qui vous porte. Vous allez, c’est sûr, être précipité, brisé sur ce mur, là, devant, à quelques mètres seulement ... Et puis non, la vague, la septième vague, la plus forte, soulève l’embarcation, le moteur rugit. Vous êtes sur le récif.




La vague se retire dans un éblouissement d’eclaboussures. Vite, il faut descendre, prendre pied, tirer la lourde barque jusqu’au sec. Vous avez de la chance si vous êtes bien chaussé car ... Marcher sur le récif !

Ce jour-là, j’ai eu de la chance : Un détachement de la Légion Étrangère était sur l’île, construisant une citerne afin de retenir l’eau de pluie. Les légionnaires, torses nus, de l’eau jusqu’à la ceinture, ont attrapé la chaloupe au moment où nous arrivions et ils l’ont tirée jusqu’au sable blanc.

Mais tout le monde n’a pas la chance d’être accueilli par la Légion ! Qu’en dirait l’agent chargé de porter leur paie aux fonctionnaires des atolls, lui qui tomba à la mer avant d’atteindre le récif ! Il perdit sa mallette et tout l’argent qu’elle transportait. Si le coeur vous en dit ... On doit pouvoir retrouver le nom de l’atoll dans lequel l’évènement se produisit ... Mais je vous avertis : la malette a disparu par deux mille mètres de fond ! ... Peut-être qu’en allant à la pêche aux requins dans le coin ... ?

L’agent-payeur est revenu sain et sauf. On lui a reproché de ne pas avoir bouclé la courroie qui aurait dû relier la malette à son bras.

LES BEAUX ARTS EN POLYNÉSIE











Ce pays ne s’est jamais remis de ne pas avoir, quand il en était temps, reconnu Paul Gauguin. Il est vrai que son travail ne faisait pas encore s’envoler les enchères !

Il est vrai aussi que l’on pouvait s’y tromper : Ce n’était jamais qu’un gueux, arrivé ici avec un billet gratuit de quatrième classe. Amoral, sinon immoral. De plus, c’était un véritable empêcheur de tourner en rond, qui se prenait quatidiennement de bec avec les gendarmes !

Quelques-uns savaient qu’il peignait ... Parfois sur de la toile de sac ... Des trucs colorés, pleins de chevaux verts, de sables rouges, d’arbres bleus. Dans ces paysage, il allongeait des fillettes impudiques de treize ans, vues de profil. Il sculptait aussi, parfois, ou plus souvent il gravait ... d’étranges choses, inavouables.

Il mourut quelque part aux Marquises où l’avait poussé son sale caractère. On retrouva quelques toiles. On vendit le tout aux enchères.



Tout ce qui constituait son oeuvre quitta le pays, absolument tout. On dit qu’un tableau était présenté à l’envers par le Commissaire-Priseur, mais comme personne ne comprenait ce que cela représentait, on vendit ce tableau pour un paysage de neige ... C’est dire que le tout partit pour presque rien !

La belle affaire ! En vérité, on n’y eut pas dépensé quatre sous !

Tahiti, aujourd’hui, court après l’ombre de Gauguin. Il y a le Lycée Gauguin, bien sûr, mais il y a aussi le restaurant Gauguin, la boutique “Photo-Gauguin”, la laverie Gauguin, l’avenue Gauguin ... Il y a l’effigie de Gauguin sur les timbres-poste, sur les cartes de téléphone, sur les paréos des Vahinés, les autocollants et les tee-shirts. Quoi d’autre encore ?

Il y a un Musée Gauguin ... Qui ne possède aucun Gauguin !

Et puis il y a toutes les galeries d’art ... Combien de galeries ? ... Pas une désoeuvrée, ici, qui ne se découvre des dons pour le pinceau. Pas un prof. de collège ou de lycée qui n’expose et qui vende ...



Comment dire, ma chère ? ... Je voudrais trouver le plus juste compliment ...

-”Mes compliments pour avoir ... osé, Madame ! “ Ceci dit entre deux verres et trois cacahouètes.

Quant à moi, je n’ai rien acheté ... Au risque d’avoir encore une fois, laissé passer Gauguin !

mercredi 28 mai 2008

MAKATEA OU LA NAISSANCE D'UN DÉSERT.



ESCALATOR EN PANNE
CENTRE COMMERCIAL VAÏMA DE PAPEETE
( en dehors de toute période électorale ! )




Makatea est une petite île complètement isolée entre l’archipel des Tuamotu, composé d’atolls, et les îles du Vent qui incluent Tahiti.
C’est sans doute un ancien atoll, mais il a été surélevé par des mouvements sismiques et l’île se présente maintenant comme une terre assez plate, une sorte de table dont les falaises s’élèvent bien à trente mètres de haut.

Tu arrives avec ta goëlette, en labourant les flots, la plupart du temps. Mais le jour où j’y suis allé l’océan était calme, avec une houle profonde et longue qui donnait l’impression d’une respiration monstrueuse.

Makatea, tu la distingues depuis assez longtemps lorsque tu t’en approches : à cause de sa hauteur, tu la découvres à bonne distance, se détachant sur l’horizon. Déjà, cela la distingue des atolls que l’on ne découvre que lorsqu’on voit la tête de leurs cocotiers, tant ils sont bas sur les flots, autant dire que tu ne les vois que lorsque tu as le nez dessus.

Nous arrivions par le sud. Nous contournons Makatea pour nous présenter au point de débarquement. Là, surprise ... Un énorme insecte couleur de rouille s’est fixé en haut de la falaise. Il tend un bras immense au-dessus de l’océan.




Tu avais beau avoir été prévenu, l’insecte et son bras, ses antennes, sont impressionnnants. On se croirait au pays des extra-terrestres

Sous l’extrémité des antennes, tu amarres ton bateau à un coffre, qui se trouve là, ancré par deux mille mètres de fond. Le coffre est énorme, la chaîne qui en part pour s’enfoncer dans les flots est énorme elle-aussi.

On t’a dit que cette installation a été mise en place par la S.F.P.O. , autrement dit la Société Française des Phosphates d’Océanie. Elle a commencé à exploiter Makatea à partir de 1908 et n’a pas tardé à tirer de cette île 230.000 tonnes de phosphate par an. Conrad, Melville et Stevenson ont vanté les îles à guano ... Le guano, c’est un engrais que l’on utilise en agriculture. Il est le résultat de la décomposition des fientes d’oiseaux déposées là pendant des siècles et des siècles. Le guano a fait la fortune de plusieurs aventuriers, de plusieurs sociétés. La S.F.P.O, avait son siège à Papeete, là où se trouve maintenant un hôtel, sur les quais. L’exploitation a commencé avec des ouvriers asiatiques, puis s’est poursuivie avec des ouvriers tahitiens. Il y a eu peut-être un millier de personnes sur Makatea.





Lorsque j’y allai, en 1968 ou 1969, l’exxploitation avait cessé. Elle n’était plus rentable. Disons qu’il n’y avait plus de phosphate à Makatea. Les machines avaient tout extrait et les navires avaient tout emporté jusqu’en Europe dont les conversions agricoles engloutissaient les engrais


Une fois amarrés au coffre, le bateau se balançant d’avant en arrière au gré de la houle, nous nous trouvions exactement sous le bras de chargement, tendu au-dessus des flots. Il était parcouru d’un bout à l’autre par un tapis roulant immobilisé. Des petits tas de phosphates restaient là, alignés, prêts pour alimenter les soutes des cargos. On eût dit qu’il y avait une panne, mais que tout allait se remettre en mouvement ! Pourtant, et c’était assez étonnant : Il n’y avait personne en vue. Personne en haut de la falaise, personne aux commandes des machines ... J’étais prévenu, mais tout de même... L’île était vide ou presque. Je crois que l’on m’a dit qu’il y restait trois ou quatre habitants !

Devant nous, au pied de la falaise, il y avait une sorte de quai. Un plan incliné s’élançait de là jusqu’en haut des rochers, avec une pente d’environ trente pour cent ... Raide !




Sur ce plan incliné on voyait des rails et sur ces rails, bloquée tout en haut, une sorte de plate- forme qui pouvait, tirée par des câbles et par un treuil, glisser pour remonter les charges ou les descendre. C’est par là, par cette sorte de funiculaire, que se faisaient les approvisionnements en matériels, en matériaux et en vivres. Bien sûr, à cette machinerie, personne aux commandes. Depuis combien d’années tout cla était-il immobile?

Nous montons à pied, par le plan-incliné. Arrivés tout en haut, nous découvrons une locomotive, attelée à deux wagons, solidement assise sur ses rails. Quelqu’un ... Quelqu’un qui est probabllement le responsable de tout cela ... Pour nous faire plaisir, il a mis du fuel dans le réservoir de la locomotive : Il en reste dans les cuves. On n’a pas pris la peine de les vidanger avant de partir.

Avant de partir ! ... Mais on n’a rien emporté, ou presque rien ! Non seulement il y a du fuel dans les citernes, mais, dans les ateliers intacts, les outils sont restés, prêts à servir. On croirait se trouver dans une ville abandonnée du Texas, du temps des cow-boys ou, bien avant, du temps des immigrés voyageant vers l’ouest avec leurs chariots. Eux aussi ont exploité des mines, puis les ont abandonnées, laissant à leurs maisons les portes et les fenêtres ouvertes, les volets battant au vent.

Ville de fantômes, ville intacte, ou presque, mais les bois de lits ont parfois été traînés dehors, on ne sait par quels pillards passant. Voici l’atelier de menuiserie, la scie à ruban. Il y a encore un petit tas de sciure sous la lame qui luit. Un calendrier est accroché au mur, au-dessus de l’établi. Y sont cochées les dates auxquelles le menuisier a fabriqué un cercueil, deux, trois le même jour parfois ... Et l’émotion vous creuse le ventre.

Les constructions sont toutes en bois. Certaines sont boîteuses, bancales. Les toits sont de tôles. Elles ont rouillé. Le vent, parfois, en a arraché des plaques. Il y a une église. Il y a une salle de cinéma. Vides bien sûr. Tout un village qui a été actif, qui a vu des naissances et des morts, qui a entendu des prières et des lamentations, dans lequel a coulé la sueur des hommes, dans lequel se sont fait entendre sans doute les musiques de l’accordéon et de la guitare. Tout un village qui vivait d’espoir de jours meilleurs et d’espoir de retour au pays natal pour des jours heureux.

On nous a promenés à travers le village dans les wagons du petit train. Nous avons parcouru toutes les rues ou à peu près, et nous sommes allés sur les lieux d’exraction du phosphate : Tout le sol est chamboulé. Du corail, c’est un amalgame de trous et de bosses, de cavernes et de blocs de calcaire, coupants. C’est dans les trous, dans les cavernes, dans les interstices, que se trouvait le guano. On l’a extrait. Les creux sont vides.


Imaginez une terre ou rien ne poussera plus, sauf quelques buissons où se distingue parfois une fleur d’hibiscus ( autrefois il y a eu ici une haie ). Le sol est d’un blanc grisâtre, creusé de trous plus encore qu’une motte de gruyère, aux bords acérés. Tout est d’une sècheresse et d’une aridité inouÏes. Le pire désert que l’on puisse voir, je pense. Même les maisons sont branlantes, certaines sont penchées, s’enfonçant dans les cavités, basculant sous l’action du vent. Terre désolée, terre vide, terre inhabitable pour toute l’éternité à venir.


Pourtant, il doit rester quelques cocotiers quelque part : On m’a offert un crabe de cocotier naturalisé, gros come un melon. C’est ce que l’on offre, ou ce que l’on vend aux navigateurs de passage ... On n’a plus que cela à offir ...Peut-être aussi, à la saison, quelques oeufs d’oiseaux de mer, dont le marins sont friands.

Et je pense à ces îles, je ne sais plus lesquelles, ces îles qui ont vendu tout leur phosphate. Avec les revenus qu’ils ont touchés, on dit que les habitants ont investi en Australie, achetant des immeubles et des maisons ... Maintenant, il n’y plus de terres chez eux ... Tellement de trous qu’ils n’ont plus qu’à quitter leurs îles pour aller habiter en Australie !







Tous ces bouleversements, les maisons vides et de guingois, les bois de lit exposés au soleil, les machines arrêtées, les balais rangés contre les murs, ce morceau de savon qui se dessèche sur un lavabo vide ... Le petit train ... Où sommes nous ?

Mais je me suis aperçu que j‘étais le seul à méditer !

mardi 27 mai 2008

LES COURSES DE PIROGUES









Les pirogue sont alignées les unes à côté des autres sur la plage de sable noir, à côté du temple de Paofaï. Plus de cent pirogues sans aucun doute, retournées, au repos, bleues, jaunes, rouges. Il y a des pirogues individuelles, fines, si fines que l’on se demande comment elles peuvent porter un homme. Il y a les longues pirogues de haute mer, construites pour six rameurs.

Les piroguiers, on les reconnaît à l’épaisseur de leurs épaules : La pagaie courte, à large pale, n’économise pas l’effort !

Sur une mer bien formée, les pirogues enfournent à chaque lame. Malgré les bâches de protection, les rameurs sont bien obligés d’écoper. On a le vent debout. Il souffle à plus de vingt nœuds, avec des rafales à vingt cinq nœuds. Les creux ont plus de deux mètres. Peu à peu, la pirogue bleue des jeunes des Îles-sous-le-Vent se détache. Une rouge la suit, mais se retourne au passage d’une vague plus grosse que les autres. Pour la remettre à flot et reprendre la course il faut perdre un temps fou. La pirogue bleue accentue son avance.



Derrière, les autres concurrents adoptent des routes qui divergent : Un groupe suit le récif, l’autre gagne au large. Elles sont deux à avoir viré la bouée et à prendre le chemin du retour, navigant avec vent arrière alors que les autres peinent toujours. Porté par les vagues, on ne faiblit pas, à la cadence d’un coup de pagaie par seconde ... Soixante coups à la minute ! L’eau gicle de toutes parts.

Et puis, soudain, nouveau chavirage de la pirogue qui est à la seconde place ... Elle est redressée par ses piroguiers qui étaient tombés à la mer. Elle chavire à nouveau dix minutes plus tard. Son équipage abandonne. Il n’est pourtant pas au bout de ses émotions : En essayant de gagner l’îlot le plus proche, la pirogue se casse en deux : Tout le monde à la mer, une fois de plus ! L’équipage essaie de monter par l’arrière sur le bateau accompagnateur, celui-ci est déjà surchargé. Une lourde vague embarque, le bateau coule à son tour !

Les jeunes des Îles-sous-le-Vent poursuivent sans faiblir. Ils atteindront la ligne d’arrivée en cinq heures trente deux minutes, vingt deux secondes. Allez vous étonner que les Polynésiens aient de larges épaules ! Cette année, une pirogue polynésienne remportera le championnat du monde des pirogues de haute mer, à Honolulu ... Mais comment peut-on courir avec de telles pirogues, alors que le barreur est parfois si gros ?

dimanche 25 mai 2008

LA DEMOISELLE DU STANDARD









-”Mademoiselle, s’il vous plaît, vous voulez bien 

me passer le 43-05-32 , “


C’était au temps où le téléphone n’était pas encore 

automatique ... Dans les années soixante. Il fallait 

passer par le standard.


Cette histoire, il faut bien que je la raconte à mon 

tour, puisqu’elle m’est vraiment arrivée, à moi, 

personnellement. Sans aucun doute, à Tahiti, ils 

sont nombreux, ceux qi l’ont aussi vécue, si c’est 

bien le cas de tous ceux qui la rapportent.



-” Ah ! C’est à ta femme que tu veux parler ! Elle 

n’est pas à la maison. Mais je sais chez qui elle est. 

Attends, je te la passe !”



Il n’est pas interdit de laisser courir son 

imagination sur les circonstancs, les causes et les 

conséquences ... Maupassant en eût fait une 

nouvelle pour le moins.



Mais cela aussi, c’était Tahiti.



C’était tout aussi sympathique que ces tonalités et 

ces musiquettes ( Ah ! La petite Musique de Nuit, 

de Mozart ! ), ces répondeurs et ces enregistreurs !

-" SI VOUS VOULEZ PARLER AVEC LE SERVICE COMMERCIAL, FAITES LE UN ..."

samedi 24 mai 2008

PROFILS DE MÉDAILLES ET DE MONNAIES








Mille neuf cent trente six ... Alain Gerbault écrit à son ami, Jacques Boulaire :

-” Trop de bateaux, trop de touristes ...”

En mille neuf cent trente six !

À la même époque, il s’inquiète de l’éventualité d’une guerre en Europe :

-” Me faudra-t-il rejoindre la France et cette civilisation que je n’aime pas ? “

Troublantes, ces phrases ! Il y faut marquer la pause.

-” Il faut bien que je vous dise, puisqu’ils en sont empêchés eux-mêmes, tout le mal que font aux indigènes des îles Marquises nos colons et nos missionnaires ...”





Nous reprenons ici, de mémoire, le dit du navigateur solitaire. Six lustres plus tôt; Paul gauguin ne disait pas autre chose;

L’oeuvre colonisatrice, notre enfance en tira le meilleur de sa foi et de sa ferveur. Au bout du compte, se résout-elle ainsi ?

À leur époque, le peintre, comme le navigateur, étaient des marginaux. Notre époque, elle, a pris l’habitude, depuis qu’elle s’est engagée sur les chemins de Katmandou, de revêtit le marginal de l’habit du prophète.

Il serait trop facile d’ironiser ... Trop nauséeux peut-être ausi. Gardons ces profils de médailles si nous le pouvons encore.

Je ne sais pas si les indigènes ( le mot existe-t-il encore ? )sont plus malheureux ou plus heureux que leurs grands-parents ... Trop facile aussi de parler des forages d’eau potable, de l’éradication des maladies contagieuses, des flots de musique répandus au-dessus des océans ... Facile, de compter les écoles, les collèges et les lycées.








Mais certainement trop facile de ne parler que de fumées, de gaz d’échappement, de boîtes de bière dérivant sur la mer, de l’introduction du Loto et de la transformation des Vahinés en caissières de supermarchés. Les réalités ont à la fois plus d’évidence encore, et plus de complexité.

La revendication d’identité est souvent un cri pitoyable.

Alors, sommes-nous coupables d’avoir bousculé les pierres noires des Marae ? _ Des victimes humaines y étaient immolées.

Sommes-nous coupables du délit de civilisation ? _ La Reine de Tahiti ne se déplaçait qu’à dos d’homme et les nobles Arii étranglaient leurs nouveaux-nés. Il est vrai que ...

L’homme blanc doit-il sangloter ?

En vérité on finit par ne plus très bien savoir ...Et ceci sans parler de fission nucléaire ...







Oui, les portes à la Vauban, les tours rondes et les tours carrées, les cloîtres et les chaussées dallées, la prison et la cathédrale de l’archipel des Gambier nous paraissent complètement saugrenus. Ils étaient fous, nos missionnaires ? Ou bien fourbes ? Nos administrateurs, ils étaient tous stupides ?

Il faut sans doute se garder de tout noircir et de tout dorer.

Quelques prêtres, à la fin du dix neuvième siècle, passaient à l’île de Pâques ... Ils virent s’enfuir les habitants : Ils savaient trop la peine des Mangaréviens à La construction de leur cathédrale!

Mais au fait ... Et les Moaï dont on fait si grand cas, combien de litres de sueur humaine pour tailler et dresser l’un de ces géants ?

Autre temps, autres lieux, autres valeurs : C’est toute l’humanité qui va ainsi ... qui va.

vendredi 23 mai 2008

LA REVUE NAVALE










On a fait bouger les bateaux ... Un peu. Ils étaient ici, on les a mis là. 

Le premier a bougé à sept heures trente, le dernier à dix heures.

Des pavillons sont montés. Des marins se sont rangés à la coupée. Ils

se tenaient très droits sous le soleil. Ils étaient tous vêtus de blanc. 

On les voyait très bien.




On a compté sept bateaux en tout ... Pardon, sept navires. Le plus 

gros n’a pas bougé. La place d’honneur était occupée par un aviso-

escorteur. Je crois que c’est ainsi que l’on dit.





Un canot est arrivé, tout blanc. On a tiré dix sept coup de mortier. On 

attendait les canons, mais ce ne fut qu’un mortier. Il crachait des 

flammes. Il faisait beaucoup de fumée. La détonation, on ne 

l’entendait qu’ensuite.





Les pigeons des quais se sont envolés. J’ai compté les coups : Il y en 

a bien eu dix sept.


Deux avions sont passés en faisant du bruit.





Devant les rangées d’hommes, quelque chose a bougé un peu ...



À dix heures trente, c’était fini. Le canot-major repartait. On entendit

 un clairon.

Les bateaux ont rejoint leurs places initiales à onze heures.


C’était le salut à l’Amiral. Il quittait son commandement. Dans 

quelques jours il y aura un autre Amiral ...

DES RIVIÈRES DE PERLES











Il y a un peu plus de vingt ans que l’on a appris à élever les huîtres de lagon. On les a obligées à produire des perles, ce qu’elles ne font que très occasionnellement à l’état naturel.

Une Japonaise, dit-on, sortit de son pays en dissimulant les outils indispensables à la greffe. Cette dernière consiste à introduire par voie chirurgicale un noyau autour duquel le mollusque déposera la nacre ... Tout simplement pour enrober ce corps étranger qui l’irrite. 

La Japonaise était mariée à un Français qui, depuis, a fait son chemin ...

Oui, mais voilà ! L’huître de Polynésie produit des perles noires ... Va donc pour la perle noire ! Mais on était plus habitué à la perle blanche.

Des fontaines de perles ! Des ruisseaux, des rivières ... Que dis-je des rivières ? Des fleuves de perles ! les perles noires ont coulé dans les vitrines, toujours plus nombreuses. La perliculture est devenue la ressource majeure.

Tant mieux ! Tant mieux pour le pays !




Mais franchement ... Ces perles noires enchassées, enfilées, ruisselantes ... Quelques unes violacées, d’autres moirées ( “aile de mouche, dit-on alors ) et celles-ci coûtent très, très cher ! Il y faut le salaire d’un pilote de ligne !

La plupart sont grises et luisantes, comme ... comme ... Très prosaïquement ...

-” Attention à ce que tu vas dire !”

Eh bien oui cependant, je le dirai : Elles ressemblent à des billes d’ hématite ... à cent balles!

On pourrait encore les comparer ( pas toutes certes ...) à des billes de roulement à billes.
Je ne suis pas certain que le passant non averti se baisserait pour les ramasser, roulant sur le trottoir des Champs-Élysées ...

-” Ah! Les perles, ma chère !”

mercredi 21 mai 2008

"TU ES PIERRE, ET SUR CETTE PIERRE ...











Il me semblait ... Il me semblait que je me trouvais

 devant les alignements de Carnac. Il me semblait 

percevoir la loi qui ramène l’homme à lui-même,

 irrésistiblement.



Se croyant Dieu, il a dressé la pierre.



C’était au jour lointain ... Peut-être dès le premier

 jour ... Depuis les îles britanniques jusque par-delà

 la Méditerranée, l’homme a dressé les pierres :

 Signes dont on discute, de civilisations dont on ne

 sait rien.



Le rite est partout : stèles, obélisques, minarets,

 tours, statues, pyramides et clochers ... Et les coqs 

sur les clochers.



Un jour de Pâques, des navigateurs égarés passent 

près d’une île montagneuse. Ils y découvrent des 

géants de pierre au regard éteint ... On en discute 

encore ... Mais les géants, pour la plupart, sont 

couchés et la mémoire en a perdu le sens.



Pour autant, on n’a pas fini d’élever des dieux. La

 prétention de l’homme est de vaincre la pesanteur

 ... Fût-ce en expédiant des fusées dans les airs, ce

 qui n’est guère autre chose que de dresser des 

Moaï, des Menhirs ou des Stupas.

mardi 20 mai 2008

CROYANCES ANCESTRALES


CROYANCES ANCESTRALES DES                     TAHITIENS ...












             La pirogue emporte l’âme du défunt vers


 la passe. Là, il y a deux pierres. Si la pirogue 

heurte la première, elle revient vers le 

rivage.





            Je ne me souviens plus très bien de ce qui 


se passe si c’est la deuxième pierre qui est touchée.




             Le récif franchi, l’âme vogue vers l’île de 


Raïatea, la sacrée. 

Elle retrouvera ses soeurs au sommet du mont 


Temehani, là où fleurit le tiaré apetahi, qui ne 

pousse qu’à cet endroit.




Ici, la mémoire me fait défaut encore.



                Tandis que les prêtres embaument le 


corps et le roulent dans une étoffe d’écorce, l’âme 

peut encore revenir pour tourmenter les vivants. 

Elle gémit dans les branches, lorsque le vent 

souffle la nuit. Elle va aux alentours des maisons, 

errant par les nuits sans lune.




-” Je les ai entendues et je les ai vues !”





               Les âmes gémissent autour du Marae, qui 

est l’autel des sacrifices, comme dans la Baie des 

Trépassés, au voisinage des menhirs ...





Gauguin peignait des Tupapau, âmes errantes ... Il 


avait peint aussi le combat de l’Ange, dans la 

prairie de Pont-Aven.


Il s’agit toujours de l’homme...


                                      Et ceci d’où qu’il vienne !

LES STATUES DE L'ÎLE DE PÂQUES










Le Moaï est l’intermédiaire, le lien entre l’homme et le principe de l’Univers.

Pour les Pascuans, tout acte est sacré et relie l’homme au reste de l’Univers : La naissance, la mort... Manger, c’est ingérer l’Univers.

Le Moaï a des yeux pour voir. Mais chaque année, au mois de Mars, le prêtre lui enlève les yeux pour une période de six mois ...


Afin qu’il se repose et réfléchisse.

LES STATUES DE L'ÎLE DE PÂQUES










Le Moaï est l’intermédiaire, le lien entre l’homme et le principe de l’Univers.

Pour les Pascuans, tout acte est sacré et relie l’homme au reste de l’Univers : La naissance, la mort... Manger, c’est ingérer l’Univers.

Le Moaï a des yeux pour voir. Mais chaque année, au mois de Mars, le prêtre lui enlève les yeux pour une période de six mois ...


Afin qu’il se repose et réfléchisse.



dimanche 18 mai 2008

UN CERTAIN SOURIRE








UN CERTAIN SOURIRE ...








La Tahitienne au sang chinois mêlé est souvent très 

belle fille, sinueuse. Elle moule son corps en un 

étui qui lui est une seconde peau, tout en ne 

laissant rien ignorer de la première. Pas un cheveu 

ne dépasse la coiffure d’ébène. Elle surligne de 

noir ses yeux de biche.


Pourtant, celle-là avait plutôt le teint terreux et le 

poil raide dans la crinière. Debout, elle flottait dans 

un short trop large et trop long. Elle portait aussi 

un très quelconque tricot de coton blanc.





Derrière son comptoir, la jeune femme éternuait.

C’était une agence de tourisme. Ses vitrines étaient 

ornées de fleurs et de belles promesses. Nous 

entrâmes. Elle enfouit son nez dans un mouchoir.




-” S’il vous plaît, nous voudrions des 

renseignements pour un voyage au Chili.”




C’était un samedi matin. Elle était seule.


-” Voilà un dépliant.”




-”Mais, Mademoiselle ... Je connais déjà ce 

dépliant ... Je voudrais ...”



-” Tout est dans le dépliant !”



Saluant fort civilement, nous sommes sortis. La 

fille n’éternuait plus. Je crois bien qu’elle bavardait 

déjà au téléphone. Sans doute l’avions-nous 

dérangée.



Ce que nous avait appris cette agence, c’est qu’à 

Tahiti aussi, on peut attraper un rhume des foins ! 

C’est une forme d’allergie.

samedi 17 mai 2008

LA SARABANDE DES PANTINS










En la cathédrale de Strasbourg, tous les jours, à la même heure, l’horloge astronomique fait défiler ses automates. Ce sont toujours les mêmes personnages, saluant, virevoltant.

Depuis trente ans que je connais la Polynésie, j’y connais ses palais aux automates. On y voit des gens qui ouvrent des portes, qui saluent, parlent, dansent, font mille tours. L’un pousse l’autre, qui sort, se replace derrière, pousse et se met à danser à son tour. Depuis trente ans le mouvement n’arrête pas. Les ressorts se tendent et se détendent. Les pantins sont toujours les mêmes et leurs pantomimes sont toujours identiques.

Le premier qui apparaît, c’est le Président. Les autres le poussent et se poussent. Au bout du compte c’est toujours à peu près dans le même ordre que va la sarabande. Si l’un trébuche, son frère le remplace.

C’est comme au jeu de l’oie : il y a une prison. Quelqu’un y entre parfois, entre deux gendarmes, portant ses effets dans un sac en plastique.




Dans les imprimeries, les rotatives se mettent alors en mouvement. Le texte était déjà tout prêt tant l’événement était prévisible. Quelqu’un crie le journal.

Selon le rite, chaque personnage passe par le Palais de Justice, chacun son tour : Tribunal d’Instance ou de Grande Instance, c’est selon. Cour d’Appel souvent. On en sort guilleret : Un carillon sonne alors, le porte-parole annonce une amnistie.

Et ça repart sur le même air de musique : ingérance, corruption ... Président, Ministres, Conseillers, échevins ...

Un jour, pourtant, le balancier vint à se détraquer sans doute.
On a vu le Président aller jusqu’aux portes de la prison, dans sa voiture de service ... Pour porter un collier de fleurs à l’un de ses Conseillers qui était incarcéré. Grave disfonctionnement !

Mais le Président est toujours le Président. Le Conseiller n’est plus Conseiller, mais son frère l’est devenu.

C’est le balancier ... Ou bien ce sont les ressorts qui se sont détraqués. Cela dure depuis trente ans, trente ans, trente ans, trente, trente ...

LE ROI DU LAOS

C’était en 1973, je crois. Je me trouvais à Vientiane, capitale du Laos.




Poussière rouge recouvrant les maisons et les arbres, odeurs de frangipannier , robes safranées des bonzes et bonzillons, pagodes aux toits d’or, portes sculptées, cyclo-pousses et vieux taxis déglingués. Marché du matin et marché du soir, balanciers de bambou sur l’épaule pour porter les marmites de soupe. Des oies, des poules, des ours enchaînés et , tout au fond, dans l’ombre, les baraques de bois bancales des fumeries d’opium. Le Mékong insane roule ses humeurs jaunes. De l’autre côté, c’est un autre pays, auquel on n’accède pas, mais on voit passer des fantômes sur la rive.



Situation étrange d’un pays en état de guerre. J’habite une ville fermée. J’ignore le pays voisin, auquel nous n’avons pas accès.



Situation étrange d’un pays sur lequel règne un Roi qui réside à Luang Prabang, ville mythique. Mais le pouvoir est à Vientiane où siège un Prince du sang.



Situation étrange d’un pays dont la majeure partie est occupée par les troupes d’un autre prince du sang, aidées par celles des voisins vietnamiens.





À Vientiane, nous avons vu entrer, silencieux, les soldats du Pathet Lao, inquiétants. Ils sont allés dans leurs casernes et on ne les a revus que lorsque l’un d’entre eux, en mobylette, allait faire ses courses en ville.



Étrange situation figée, incompréhensible : Les troupes ennemies sont en présence dans la même ville. Rien ne bouge. Dans le pays voisin, Phnom-Pen va bientôt tomber, chacun le sait. La danse de Shiva le destructeur va bientôt commencer.



Un matin, passant vers le centre ville ... Un piédestal. Il n’était pas là hier encore. Un piédestal, et rien dessus ... Le ciment n’est pas sec encore.
C’est curieux : les nations à l’avenir incertain sont celles qui édifient le plus de monuments : Tout en haut de l’avenue Lan Xang s’élève un arc de triomphe monumental, décoré d’apsaras et de têtes d’éléphants.




Le Laos est le Royaume des cent millions d’éléphants ! Vous avez dit Royaume ! Pour combien de temps ? C’est sans doute cette incertitude qui pousse à l’édification, là, d’une statue ...





Le lendemain, je repasse au même endroit. Le piédestal doit avoir séché suffisamment : On a posé quelque chose dessus. Quelque chose, mais je ne peux deviner quoi car un voile le recouvre. Ce n’est pas très haut, ce n’est pas énorme ... En tout cas, ce ne peut pas être une statue ...



Je retourne voir ce qui s’est passé le jour suivant. Rien n’a changé ... Un voile cache toujours les choses. Deux policiers veillent. Les passants sont indifférents ... Sans doute en ont-ils vu d’autres !



Et puis un jour, le voile s’est soulevé : Le vent, sans doute. Les deux policiers sont toujours là. Ou leur relève très probablement.


Alors je vois ! Je vois, en bronze, une énorme paire de chaussures ! Seules, les chaussures sont là. Il n’est pas possible que l’on ait élevé un monument pour une paire de “tatanes”, si belles soient-elles ! Mais elles sont vraiment très grandes, très bien faites aussi. Une paire de chaussures montantes, solides, faites pour la marche. Alors je comprends : C’est bien une statue qu’on va élever là. Dans les pays de l’Asie du sud-est on coule beaucoup de bronze. On élève beaucoup de statues. Elles représentent des soldats, des chefs, censés symboliser l’unité de peuples qui n’en ont guère. Mais des godasses !



Puis les chaussures ont disparu pendant quelques jours et le piédestal est resté vide. Qu’allait-on vraiment faire ici ? Il m’en souvient ... C’était réellement de très grandes chaussures ... Pour quel géant ?



La fois suivante, vous en souvenez-vous très chère, vous étiez avec moi. La statue entière était sur son socle. Elle était voilée des pieds à la tête. Elle était grande, grande ... Voilée des pieds à la tête, ou de la tete aux pieds, comme vous voudrez, cachée derrière le drapeau du pays aux cent millions d’éléphants ... Mais le voile cachait mal les chaussures ... Sacrés godillots ! Énormes.



Enfin, le jour de l’inauguration, nous avons compris : La statue, fort bien réalisée d’ailleurs, n’avait pas été coulée dans la même fonderie que les chaussures. Qui avait fait l’erreur ? Je ne sais, mais l’une des deux fonderies n’avait pas respecté les proportions imposées par les artistes. Ah ! Pour ça, il avait des tatanes, le Roi du Laos !... Car c’était bien du Roi qu’il s’agissait. On avait ajusté les chaussures au reste du corps et ... Celà faisait un Roi Patagon ( Car chacun sait que la Patagonie est le pays des grands pieds. ) Lorsque le voile tomba, Au moment où jouait la musique des khens ... Nul ne broncha. Chacun regardait le bout de ses propres chaussures;



Mais le soir même, la statue avait été enlevée, corps et chaussures !

On ne l’a jamais revue car quelques jours plus tard, le Roi du Laos était destitué et Le Prince rouge prenait le pouvoir.

Il y a, quelque part dans les environs de Vientiane sans doute, une paire de chaussures à récupérer, mais on ne peut guère envisager d’en chausser la statue de Napoléon : Le Petit Caporal était bien trop petit !

vendredi 16 mai 2008

UNE RENCONTRE










Il y a des choses que l’on voudrait dire avec beaucoup de simplicité parce qu’elles sont pures.

Rester vraiment simple ? Autant dire , sans doute, qu’il vaudrait mieux se taire, conservant toujours à l’émotion tout son goût. Mais le besoin de dire ...

Et lorsqu’il s’agit d’écrire ...


Nous ne nous étions pas rencontrés depuis sept ans ... Comment dire ?

Entre nous les relations avaient toujours été courtoises, réservées un peu, comme il se doit quand on travaille ensemble. Elles étaient faites de respect mutuel, d’estime et de sympathie. Est-ce bien celà ?

Un Polynésien authentique, aux yeux remplis de lumière ... Le voici au bas de l’escalier, tout à fait inattendu.

-”Bonjour. Comment vas-tu ?”




Ce tutoiement ... Jusqu’à l’extrémité de mon âme. À Tahiti, je le sais bien, le tutoiement est d’usage. Mais celui-ci est neuf, à nul autre pareil : Confirmation d’une admission.


-“Ai-je été assez simple dans ma façon de dire ?”

jeudi 15 mai 2008

IL FAUT CROIRE AU PÈRE NOÊL







Les journaux de décembre sont remplis de Pères Noël et de Reines de beauté. Il est vrai que, sans doute, ces personnages relèvent du même ordre pour la plupart des mortels.

Il y a de jolies filles dans ce pays. C’ est bien connu depuis Monsieur de Bougainville. Les concours de grâces, pourtant, me laissent songeur ...

Certains y sont très assidus. Un Président et plusieurs Ministres y trouvèrent naguère chaussure à leur pied.

Beaucoup de filles des îles rêvent d’épousailles et, souvent, de départ vers d’autres cieux.

Ah ! disait la caissière du supermarché, je suis “fiu” de Tahiti (entendez j’en suis fatiguée ...) J’ai envie de partir en Bretagne !

-” En Bretagne ! Tu te vois dans un imperméable ?”

-”Ou alors en Suisse. J’y ai de la famille.”

Étonnez-vous que les épouses des fonctionnaires européens montent une garde si vigilante ! Quant aux européens célibataires, ils sont bons pour acheter l’imperméable ..

LES PLAIES DES TROPIQUES









Orofara existe-t-il encore ? C’était le village des lépreux. Il était situé à quelques kilomètres de Papeete.

Y a-t-il encore des lépreux dans ce pays ?

Cet homme, que nous rencontrâmes l’autre matin, nous rendant aux marché aux fleurs, ce n’était pas un lépreux. Il souffrait d’un “mariri”, autrement dit d’un éléphantiasis.

De son nom véritable, cette maladie s’appelle la filariose. Elle est causée par des filaires, des vers parasites dont les larves sont véhiculées par les moustiques. Un bras, une jambe, les parties sexuelles, voilà les organs principalement affectés.



Pouvez-vous imaginer un éléphantiasis ?


L’homme que nous avons rencontré ce matin-là traînait véritablement une patte d’éléphant.






Il avait été obligé de fendre la jambière de son pantalon, pourtant déjà très large. Énorme, rouge, verruqueux, bubonné, violacé ... C’est à un vieux tronc d’arbre que l’on songe.


Vous ne pouvez pas imaginer ! Il traînait cette énormité, qui était enveloppée de chiffons à l’endroit où on aurait dû voir le pied.

Alors, imaginez celui, ( Jele vis un jour sur une photo jaunie ) Imaginez celui qui portait ses testicules dans une brouette !



Nous allions au marché aux fleurs, n’est-ce pas ? C’est là que nous avons rencontré l’homme au “mariri”.

mardi 13 mai 2008

MAIS LE VETEA ...









Au fond du port, tout au fond, gris, devant le gris des citernes de carburants, les vaisseaux de la Marine Nationale sont tapis. Gros lézards se chauffant au soleil, ils ne bougent guère.

De l‘autre côté une énorme bête noire est à quai, chargée de containers de toutes les couleurs. Elle s’est assoupie là depuis hier soir après avoir déplié ses appendices. Elle respire doucement, étirant vers le nord une haleine fuligineuse.

Arrive un pétrolier, bleu, long, bas sur l’eau, tuyauteries rutilantes. Deux coléoptères noirâtres l’ont pris en charge, l’un à tribord, l’autre à babord. L’un à l’avant, l’autre à l’arrière, têtus. Il font virer le mastodonte, doucement , lentement, sans bruit.

Moorea est proche, île parée d’or, orgueuilleusement drapée de vert, non sans élégance.

Le ferry demande le passage : Un coup de trompe, bref ... C’est un bousier disgracieux, mais décidé. Un insecte hydrophile, haut perché sur des patins, le double : Lui-aussi, il va à Moorea. Tout un peuple se penche aux rembardes, ivre de vitesse.




Quant au Vétéa ...

Le Vétéa est un voilier trapu. Sa coque en acier est peinte en noir. Son unique mât est en bois verni. Il a des bosses. Il a des creux. Il a dû en voir de rudes! Amarres s’effilochant ...

À la proue, trois cocotiers ... Oui, j’ai bien dit des cocotiers, et déjà de jolie taille ! Ils poussent dans des bidons. Tout autour, dans des caisses en bois blanc, poussent des pervenches de Madagascar, blanches et violettes, en gros bouquets.

Ah ! Le Vétéa ! ... Le roof est à persiennes vernies, entrouvertes toujours : Quelqu’un habite là, qui ne doit plus guère naviguer !